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Site des Du Haut de la Tour de 1957 à 1973

Barbentane est décidemment un village peu ordinaire !

On ne sait vraiment pas pour quelles raisons, mais ses notables ont toujours eu les démangeaisons de l'écriture. Pour nous, historiens locaux, c'est le rêve !

Dès le milieu du XIXe siècle, Sébastien Fontaine (1814-1870) écrivait un livre(1) sur son village natal à une époque où presque toute la population était illettrée. Cela peut nous faire sourire aujourd’hui, mais à ce moment-là, c’était assez audacieux et rare. Certes, il a travaillé avec les sources de son époque qui sont dépassées aujourd’hui mais il reste un grand témoin de son temps.

Puis, arrive un percepteur originaire de Bretagne, Hippolyte Bout de Charlemont (1848-1915), qui va rester en poste pendant 19 ans. Lui aussi va se passionner pour notre village au point d'écrire un petit opuscule(2) qui sera édité en 1899.

A l’aube du XX^e, la vie politique devient, disons, très 'mouvementée'. Le moins que l'on puisse dire c'est que la séparation de l'Église et de l'État ne se passe pas sans heurts. Alors, Claudius Gonet (1831-1906), le curé de l'époque, un Tarasconnais d'origine, pourtant bien malade, va créer en octobre 1905 un journal paroissial qui fera date : l'Echo de Barbentane. Le titre de cette parution de huit pages à l’origine, va connaître une longue vie puisqu'elle durera jusqu'en 1956, soit un plus d'un demi-siècle. Mais c'est surtout en novembre 1909, sous la charge pastorale d'un autre curé, Aimé Guigues (1855-1924), un Aixois d'origine, qu’apparaît dans l'Echo une nouvelle rubrique 'le courrier militaire'. Il faut savoir que depuis 1905 le service militaire n'est plus aléatoire par tirage au sort, il devient obligatoire pour tous les hommes en France (sauf pour les réformés). De ce fait, toutes les années, par classe d'âge, les jeunes hommes quittent le village et leur famille pour s'en aller accomplir leur service militaire. C'est vraiment une nouveauté, car auparavant peu de personnes s'expatriaient volontairement, on naissait et on mourait au village. Or, pour le bon curé Guigues, pas question que ses ouailles puissent entendre d'autres paroles que celles de l'église, ainsi, grâce à l'Echo de Barbentane, il garde le contact avec ces jeunes qui pourraient avoir de mauvaises fréquentations. Pour moi c'est une mine de renseignements. En effet combien de villages ont eu leur journal spécifique pendant aussi longtemps ? Ils doivent se compter sur les doigts d'une main. Alors, durant toute la Grande Guerre, nos soldats ne vont cesser d'écrire pour donner de leurs nouvelles et en retour recevoir celles de leurs amis d'enfance dispersés sur tous les fronts. Mais éditer un journal coûte cher, même quand il est réfléchi et édité par des bénévoles, aussi cette première version de l'Echo disparaît en 1918 dès la fin de la Grande Guerre, toutefois le journal renaîtra en 1926 pour paraître jusqu'en 1938.

Durant cette période, un natif de Saint-Rémy-de-Provence, Denys-Marie Turrier (1899-1969), vient s'installer au village en tant que secrétaire de mairie. Lui, entre autres publications, va écrire un livre sur notre paroisse qui fait date(3).

Durant toute la deuxième guerre mondiale écrire est dangereux, alors les Barbentanais se taisent, comme à peu près tout le monde d'ailleurs. En période trouble, on pense toujours bien sûr, mais on ne dit rien. Toutefois un occupant Allemand(4), plus écrivain que militaire, en profite pour écrire un petit opuscule sur l'histoire du château d'Andigné qu'il occupe. Quand je vous dis que l'air de Barbentane aiguise l'esprit et fait travailler les auteurs !

Après la Libération, Barbentane reprend goût à l'écriture et surtout n'oublie pas ses jeunes partis sous les drapeaux. En 1948, « nos écrivains » inventent la Lettre aux soldats. C'est une simple page recto-verso, parfois deux, tapées à la machine avec des calques. Je ne sais pas combien fois elle a été imprimée, je n'ai pu en récupérer qu'une seule, mais j'aimerais tant lire les autres. En parallèle, en 1947 sous la responsabilité du curé Raymond Rolland (1897-1977), originaire de Marignane, le tirage de l'Echo reprend jusqu'en 1956 où il disparaît faute d’argent probablement.

Il faut croire que notre village n'aime pas le silence. Puisque, un an après, avec l'abbé Jean Jourdan (1923-2005), originaire de Salon-de-Provence, naît le Du Haut de la Tour qui, avec le sous-titre 'Les jeunes Barbentanais à leurs amis soldats', reprend le flambeau du journal paroissial et y ajoute une correspondance régulière avec les jeunes partis faire leur service militaire. Il le fait sous une forme totalement différente, car d'un livret imprimé on passe à des feuilles polycopiées qui seront imprimées à l'abbaye Saint-Michel-de-Frigolet. D'une part, localement, c'est plus simple à mettre en œuvre et on peut se permettre d'avoir une parution plus souple. C'est aussi de nouveau une époque critique, au moins jusqu'en 1962, pour ce que la Nation appelle les Évènements d'Algérie et qui finalement pour l'histoire prendra le nom de La guerre d'Algérie. Alors quasiment tous les appelés serviront en Afrique du Nord et là le danger de mort est omniprésent. Même si notre journal ne parle jamais de politique il est quand même le reflet de toute cette époque. Une époque où la route tue et pas qu'un peu. Les accidents mortels sont nombreux, en moyenne au moins un par mois ! Il faut dire que les voitures de l'époque étaient très mortifères, certaines comme les 4CV, les Dauphines ou autres R8 avec leur moteur à l'arrière avaient une fâcheuse tendance à faire des tonneaux et à finir sur le toit. Au fil des publications, on peut considérer que le croisement de l'Escapade, comme celui du chemin de la Bruyère, avec le virage du lieu-dit La Pointue comme les lieux les plus accidentogènes du village. Les morts y sont nombreux. Le plus touchant du journal reste quand même la rubrique des 'faits divers'. Honnêtement, vous vous fouliez le pouce à la maison avec votre casserole, et aussitôt cet accident domestique était signalé à la connaissance de tous. Les 'roundelets(5)' traditionnels des soirs d'été barbentanais sont devenus pendant quelques années des pages polycopiées et distribuées à tous, jusqu'à des centaines de kilomètres de notre tour Anglica. Mieux encore, le Du Haut de la Tour récupère de l'argent et, régulièrement, envoie des mandats aux appelés, parfois aussi aux engagés. Connaissez-vous beaucoup de villages qui ont pratiqué une telle entraide ?

Imaginez-vous être soldat à cette époque qui, en attendant impatiemment la quille en bullant le plus possible, montriez à vos copains d'infortune votre journal local et de temps en temps receviez des sous dudit journal. Il est sûr que vos copains de chambrée ont dû garder en souvenir le nom de ce village vraiment pas comme les autres.

Après le départ à Aix-En-Provence de l'abbé Jean Jourdan où il devient curé en 1959, c'est le curé Henri Linsolas (1911-1990), originaire de Rognonas, qui reprend le flambeau.  Avantage supplémentaire c'est un historien dans l'âme. Alors, en plus des diverses nouvelles locales, notre journal relate ses découvertes historiques. C'est passionnant. C'est d'ailleurs pour cette raison que ces Du Haut de la Tour dits 'de la paroisse' restent pour toujours de précieux témoins historiques et c'est pourquoi j'ai décidé, à 60 ans de distance, de partager ces publications avec vous

Il faut rendre ici un hommage appuyé à tous les bénévoles qui ont contribué à ces journaux aux tirages bimestriels et ils sont nombreux. Les citer nommément reviendrait à écrire un nouveau livre car beaucoup de jeunes du village y ont participé avec entrain et un grand enthousiasme. Qu'ils en soient maintenant grandement remerciés. C'était vraiment le journal des jeunes Barbentanais à leur amis soldats. Toutefois, nous devons rendre un hommage particulier à Joseph Bruyère (1922-1988), dit Bikini, pour son immense dévouement. Pour lui le célibataire endurci, ce journal était incontestablement « son bébé ». Il l'aura choyé jusqu'à sa disparition. Hélas, après 16 ans d'une difficile existence, entre 1959 et 1973, et 96 numéros, notre journal paroissial disparaît. Mais son titre, repris par la municipalité, va renaître et après quelques péripéties d'édition il existe encore aujourd'hui.

Pour ceux qui ne sont pas originaires de Barbentane, cela vous aidera à mieux comprendre notre esprit d'entraide. Quand vous êtes constamment et où que vous soyez en contact avec votre village vous en gardez des liens sacrés. On nous dit chauvins, le terme me paraît inapproprié, je dirai plutôt que depuis notre naissance nous avons deux maisons : celle de notre famille et celle de notre village. Ils sont pour nous tous, et pour toujours, inséparables.

Forcément, il me manque des numéros ! Sur les 96 édités, 26 sont absents de ma collection. Alors, je lance un appel à tous, si vous possédez dans vos archives un ou plusieurs numéros manquants, je suis preneur pour les scanner, les remonter et les publier, je vous les rendrai bien sûr.

Guy

Août 2025

1. Histoire pittoresque de la Ville de Barbentane et de ses environs, par Sébastien Fontaine, imprimerie d’Antoine Aubanel fils aîné à Tarascon en 1854 (récemment, une réédition a été faite de ce livre, voir le magasin Tabac-Presse de la route de Boulbon).

2. Notice Historique sur Barbentane, par Hyppolite Bout de Charlemont, imprimerie Lucien Duc à Paris en 1899 (épuisé).

3. Essai sur les origines de la paroisse de Barbentane et de sa vie religieuse depuis son origine jusqu'à nos jours, par Denys Marie Turrier, imprimerie Mistral à Cavaillon en 1939 (épuisé).

4. Barbentane. Das bild einer Landschaff (Barbentane. L'image d'un paysage) écrit en 1943 par Bernd Boehle (1906-1963).

5. Roundelet : mot provençal que l'on pourrait le traduire par 'cercle de discussions', surtout pour des échanges de cancans.